Pour une révolution dans l’agriculture: vers un traite mondial sur les pesticides

Pour les experts de l’ONU, l’idée que les pesticides sont essentiels pour nourrir une humanité qui ne cesse de croître est un « mythe ». Le rapport présenté mercredi 8 mars 2017 au Conseil des Droits humains de l’ONU est particulièrement critique des multinationales de l’agrochimie qui produisent ces substances. Il les accuse notamment d’en « systématiquement nier les dangers et les dommages». » et d’avoir « des tactiques de marketing agressives et contraires à l’éthique ». Le document dénonce en outre leur intense lobbying en direction des gouvernements. Ce lobbying fait « obstruction à toute réforme » de l’emploi des pesticides et a conduit à «la paralysie de leurs restrictions à travers le monde ». Le rapport dénonce avec véhémence « l’inaction » des Etats….souvent soumis aux multinationales, ces mastodontes de la chimie (pesticides, médicaments….)
Derrière des Etats défaillants se dressent en réalité les multinationales toutes puissantes. « L’industrie des pesticides est dominée par quelques sociétés transnationales qui exercent un pouvoir extraordinaire sur la recherche agrochimique, les initiatives législatives et les orientations en matière de réglementation au niveau mondial » dénonce le rapport. (Lire Marine Jobert, Le Journal de l’Environnement, 7 mars 2017)
Le rapport affirme que les pesticides ont « des impacts catastrophiques sur l’environnement, la santé humaine et la société dans son ensemble ». Il déplore la mort de 200 000 personnes annuellement du fait des empoisonnements aigus et note que ces drames – à 99%- ont pour cadre les pays du Sud où les réglementations sanitaires et environnementales laissent à désirer**. Les auteurs constatent qu’« il est temps de mettre en route un processus global de transition en vue d’une production agricole et d’une alimentation plus saines et plus sûres » d’autant que des aliments contaminés par les pesticides ont une valeur nutritive diminuée. Ils montrent qu’il faut « renoncer progressivement à l’agriculture industrielle » qui abîme les sols et leur capacité de percolation de l’eau dans les nappes souterraines et provoque au final des inondations. De plus, cette agriculture nuit au stockage du carbone dans le sol et contribue ainsi au réchauffement climatique.

La population mondiale comptera, en 2050, neuf milliards d’âmes. Aujourd’hui, nous sommes sept milliards d’humains. Dans cette perspective, l’industrie des pesticides prétend que ses produits sont d’importance capitale pour protéger les récoltes et assurer une alimentation suffisante à ces milliards de bouches à nourrir. Le marché des produits de cette industrie se monte à 50 milliards de dollars et, servi par une publicité tapageuse, ne cesse de progresser. (Lire Damian Carrington, The Guardian (Londres), 7mars 2017)

Mme le Dr Hilal Elver, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, qualifie de « mythe » ces prétentions intéressées des industriels et explicite : « La question de l’éradication de la faim dans le monde n’a rien à voir avec un usage soutenu des pesticides. La FAO affirme que nous sommes en mesure, aujourd’hui, de nourrir neuf milliards de personnes. La production est en augmentation certaine mais le problème gît dans la pauvreté, l’inégalité et la distribution ». Et notre auteur de faire remarquer que la plupart des pesticides sont actuellement répandus sur les cultures de rente comme l’huile de palme et le soja et non sur celles destinées à nourrir les populations soumises aux affres de la faim ou à la malnutrition dans le monde.

Le professeur Baskut Tuncak, spécialiste des produits toxiques et co-auteur du rapport affirme de son côté : « On est face à un défi de grande ampleur alors que la recherche scientifique confirme les effets délétères des pesticides et prouve un lien définitif entre l’exposition à ces produits chimiques et les maladies chez l’homme et les atteintes à l’environnement. Ce défi considérable est exacerbé par le déni systématique qu’oppose l’agro-industrie quant à la réalité des dommages infligés par ces produits».

L’exposition chronique aux pesticides est liée à l’apparition de cancers, à la maladie de Parkinson et à celle d’Alzheimer, au dérèglement hormonal, aux troubles du développement et à la stérilité. Les ouvriers agricoles, les femmes enceintes et les enfants sont particulièrement vulnérables à ces substances et ils nécessitent une protection particulière.

Les experts insistent sur le cas particulièrement inquiétant des pesticides néonicotinoïdes, responsables de l’effondrement systématique des colonies d’abeilles dans le monde. Cet effondrement des ruchers menace, selon ces experts, les bases mêmes de l’agriculture car 71% des spéculations agricoles dépendent de la pollinisation effectuée par les abeilles.

Mme Elver a visité les Philippines, le Paraguay, la Pologne et le Maroc pour rédiger ce rapport. Elle a noté le très fort ascendant des multinationales sur les gouvernements et sur la communauté scientifique.

Ce sont ces compagnies qui décident - malgré leurs dénégations- de la politique à suivre dans ce domaine des pesticides et c’est avec elles qu’il faut discuter. Elles imputent les dommages provoqués par leurs composés aux mauvaises manipulations faites par les agriculteurs qui ne respecteraient pas, selon elles , les procédures édictées par le fabricant. Elle relève que dans les pays riches -comme ceux de l’Union Européenne (UE)- la réglementation est particulièrement sérieuse et s’appuie sur le principe de précaution…qui n’est en usage aux Etats Unis. C’est en application de ce principe de précaution que l’UE a interdit, en 2013, les néonicotinoïdes malgré l’opposition des multinationales. De plus, les études supervisées par le gouvernement chinois arrivent à la conclusion que la pollution générée par les pesticides signifie que l’agriculture ne peut plus continuer sur 20% des terres arables.

Le rapport trouve que seuls 35% des pays en développement ont une réglementation concernant l’usage des pesticides et que souvent l’application des textes est très aléatoire. Il note aussi l’existence du « double standard » : un pesticide fabriqué en Suisse ou en Belgique peut être librement exporté dans les pays en développement alors qu’il est interdit dans ces pays où il est élaboré car mutagène ou de toxicité élevée! Exporté au Mali ou au Bengladesh, il devient inoffensif !

Le rapport des experts onusiens recommande la rédaction d’un traité global gouvernant l’usage des pesticides dans le monde et encourage les agriculteurs à se tourner vers les pratiques agricoles soutenable telles la suppression des nuisibles par des méthodes naturelles (pièges, phéromones, entomophages…) la rotation triennale des récoltes….Il existe bien des traités comme la convention de Montréal ou celle de Stockholm qui tentent de débarrasser l’environnement des produits persistants mais il faudrait éviter à l’avenir les chausse-trappes juridiques comme les règles de vote léonines ou tordues dans les enceintes internationales et les clauses d’exemption jésuitiques.

Hilal Elver et son collègue achèvent ce réquisitoire contre les toxiques par des recommandations appuyées en direction des Etats. C’est à eux qu’il appartient d’encourager et de soutenir une agriculture libérée des pesticides. C’est aux Etats de protéger les personnes à risque comme les enfants et les femmes enceintes. C’est aux Etats de mettre fin aux subventions accordées à ces produits et d’alourdir les taxes douanières qui les frappent. C’est aux Etats d’œuvrer pour que les populations mangent des produits sains non contaminés par les résidus de pesticides et de réduire l’exposition à long terme à ces produits.

Le rapport demande aux Etats de « renoncer progressivement à l’agriculture industrielle » accro aux pesticides de synthèse qui polluent l’embryon au sein de la mère, contaminent les aliments et l’eau et s’insinuent dans toutes les niches écologique.

Source: Leaders, 21.03.17
http://www.leaders.com.tn/article/21903-pour-une-revolution-dans-l-agri…